Cette traversée a été réalisée entre les 13 et 15 janvier 2020. Les données que nous partageons ici correspondent à cette période et ne sont peut-être plus d'actualité.
Un mois après avoir découvert les joies de la randonnée en autonomie à Torres del Paine, nous décidons de réitérer l’expérience autour de la ville d’El Chalten, en Argentine. On commence vraiment à apprécier cette discipline et nous prenons plaisir à voir nos capacités s’améliorer jour après jour. Si bien que l’on se surprend à envisager une randonnée un peu hors du commun.
Une rumeur dit qu’il serait possible de rejoindre la Carretera Austral (notre prochaine étape) en 2 ou 3 jours de marche et en semi-autonomie. Un parcours qui nous paraît aussi idéal qu’incertain dans la mesure où aucune information fiable ne semble exister sur cette traversée. En revanche, tout le monde à l’air de connaître « quelqu’un » qui l’a déjà fait. Ça nous fait une belle jambe !
Après quelques jours d'hésitation et le recoupement de plusieurs informations, nous avons dressé une liste de raisons pour lesquelles nous souhaitions vivre cette aventure :
Après avoir expérimenté les treks en aller-retour et au format boucle, voici l’opportunité de réaliser un trek « utile » permettant de traverser une frontière. Autrement dit, nous pouvons nous rendre en autonomie d’un point A à un point B en utilisant la marche comme moyen de déplacement et non seulement comme un divertissement.
On ne va pas se mentir, cette option n’est clairement pas celle de la facilité et on aime l’idée qu’elle nous donne du fil à retordre. Ce sera pour nous une première et je suis certaine que ça nous permettra de gagner en confiance et en expérience.
Réaliser le trajet de cette manière revient à une quarantaine d’euros, contre au moins le double en transports en commun.
Nous voilà partis pour 48 heures, soit deux journées bien remplies. Par la route, il faut rejoindre les grands axes et compter environ 30 heures auxquelles s'ajoute les arrêts du bus et la coordination des transports sur la Carretera Austral. La plupart ne passant qu’une seule fois par jour et pas tous les jours, une erreur d’organisation peut vite vous faire passer du simple au double.
Cette traversée est la seule manière d’atteindre directement Villa O’Higgins, le point le plus au sud de la Carretera Austral. En effet, le premier croisement où il est possible de traverser la frontière chilienne par la route se trouve au niveau de Chile Chico, soit 350 kilomètres au nord de Villa O’Higgins. Il conviendrait donc ensuite de se farcir un aller-retour d’environ 20 heures, ce qui ne nous paraît pas forcément judicieux.
Une fois la décision prise, il ne reste plus qu’à s’atteler aux préparatifs. En voici les incontournables :
- Boucler son sac et faire en sorte de n’en avoir qu’un. Beaucoup de voyageurs ont un second petit sac à dos, ce qui est pratique pour les visites mais très encombrant sur ce genre de parcours.
- Vérifier son équipement de bivouac (tente, matelas, duvet chaud, kit de cuisine).
- Penser à prendre un peu plus de nourriture que prévu (cf. étape 5 ci-dessous).
- Se renseigner sur la météo. Les conditions climatiques sont assez extrêmes en Patagonie et peuvent grandement impacter les activités extérieures. Les garde-parcs à l’entrée de la ville sont d’une grande aide à ce sujet.
- Se munir de pesos chilien (cf. étape 6 ci-dessous)
- Afficher son plus beau look de voyageur-randonneur (un combo des plus glamour) et se lancer !
Nous avons découpé le trajet effectué en 7 étapes pour plus de clarté. Les options pour lesquelles nous avons opté sont désignées par le symbole suivant ✅.
1. El Chalten → Lago del Desierto (36 km)
Votre première mission sera de quitter la ville d’El Chalten pour rejoindre le Lago del Desierto. Trois options s’offrent alors à vous :
✅ Le stop, pour les plus patients
Il est assez simple de lever le pouce en direction du lac puisqu’il s’agit d’une voie sans issue. Par conséquent, tout véhicule empruntant ce chemin a de grandes chances de s’y rendre. Pour cela, attendez patiemment à l’entrée de la piste et faites briller votre plus beau sourire, le pouce en l’air. Il est recommandé de se mettre en place dès le début de journée pour gagner du temps, car les retardataires (dont nous faisons partie) se doivent de respecter certaines règles. Et oui, il existe bel et bien une sorte de code d’honneur de l’auto-stoppeur. Ainsi, il est communément admis que le dernier arrivé doit se placer quelques mètres après ses prédécesseurs. Ce jour-là, 3 groupes sont donc partis avant nous et c’est après 40 minutes d’attente que nous avons eu la chance de grimper à l’arrière d’un pick-up.
Profitez d’ailleurs du trajet pour ouvrir l’œil car vous pourriez avoir la chance d’apercevoir un huemul, une espèce de cerf andin classée en voie d’extinction. Si comme nous vous avez la chance d’en croiser un, essayez d’en prendre une photo pour les garde-parcs en précisant l’heure et le lieu de cette étonnante rencontre.
Le bus, pour les plus pressés
Cette option est à la fois la plus rapide et la plus confortable. D’après l’office du tourisme d’El Chalten, la place revient à une vingtaine d’euros. D’expérience, on vous recommande tout de même de vous renseigner directement auprès des compagnies de bus car il est souvent possible de bénéficier d’une promotion lors de paiements en liquide.
La marche, pour les plus sportifs
Et pourquoi pas ? Il s’agit après tout d’une piste plate qui ne pose pas de grande difficulté physique. Elle est cependant très monotone et risque de vous prendre une bonne partie de la journée. Il faudra donc songer à rajouter une nuit dans votre organisation et par conséquent des repas (ce qui peut impacter le poids de votre bagage).
2. Lago del Desierto → douane argentine (14 km)
Votre seconde mission sera de rejoindre le campement de la douane argentine avant la nuit. Cette fois-ci, deux options se présentent :
Traverser le lac en bateau
Si vous souhaitez économiser votre temps et votre énergie, la traversée du lac sur un catamaran à moteur vous coûtera une trentaine d’euros. Ça peut être une jolie expérience si vous n’avez pas l’habitude de ce genre d’activité et que le soleil est de la partie.
✅ Randonner le long du lac
Il est possible de randonner au bord du lac sur environ 14 kilomètres. Le sentier longe la rive avant de se faufiler entre les arbres de la forêt. La randonnée n’est pas trop physique (compter deux bonnes montées tout de même) et la diversité des paysages aide à faire passer le temps. Le parcours est relativement bien balisé et ne présente selon nous pas de risque particulier. L'unique difficulté relève d'une traversée de rivière mal aménagée. Contrairement à Guillaume qui l'enjambe sans soucis, je me retrouve handicapée par mes petites jambes. Alors si comme moi vous devez traverser un cours d'eau pieds nus, choisissez un endroit où le courant n’est pas trop fort et serrez les dents : elle est glaciale.
Nous avons eu la chance d’observer deux piverts noirs à têtes rouges dans la forêt et de profiter d’un merveilleux panorama sur le lac depuis les hauteurs. Il s’agit sans doute de l’une de nos plus agréables randonnées du séjour et on vous la recommande chaudement.
Si vous arrivez tardivement à Lago del Desierto et que vous n’êtes pas certains de pouvoir rejoindre la douane avant la nuit, il existe un camping près du lac où vous pourrez planter votre tente (et faire griller des saucisses). Vous pourrez ainsi partir plus sereinement le lendemain matin.
3. Bivouac au point de douane argentine
Puisque peu de renseignements existent à propos de cette traversée, notre arrivée au campement nous mène de surprise en surprise. Première bonne nouvelle : nous ne sommes pas seuls ! Quelques randonneurs partis plus tôt sont déjà en place, alors que d’autres viennent du nord et effectuent le trajet en sens inverse. On doit être une dizaine en tout, ce qui est plutôt rassurant. En revanche, toutes les informations qu’on nous partage débutent par « il paraît que », nous laissant ainsi dans le flou total.
Après s’être présentés aux autorités, nous établissons à notre tour le bivouac sur cette immense étendue d’herbe parsemée de chevaux. Le terrain appartient à la douane argentine, qui accepte généreusement que les randonneurs y dorment gratuitement. Ils laissent également leurs toilettes à disposition contre nettoyage (merci pour cette initiative). En ce qui concerne l’alimentation, l’eau du lac est potable. On peut donc s’y recharger en eau (fraîche) et l’utiliser pour cuisiner. Veillez en revanche à vider l’eau de cuisson ou de votre vaisselle à bonne distance du lac afin qu’il conserve sa qualité.
4. Douane argentine → Candelario Mancilla (22 km)
Le poste de douane rouvre à 8 heures et c’est ici qu’il faut faire tamponner son passeport afin de quitter le territoire argentin. Cette seconde journée de randonnée n’est pas des plus palpitante mais elle demeure néanmoins essentielle. Le parcours démarre par un mur montant dont on se serait bien passé au réveil. Malgré un balisage omniprésent la nature a repris ses droits, masquant le fléchage au niveau d'un croisement. Quand vous arrivez au niveau de Laguna Larga ouvrez l'oeil sur la droite (ou sur votre application Maps.me) car un tronc d'arbre caché sous les feuillages permet de traverser la rivière en toute simplicité.
La randonnée totalise environ 7 kilomètres de marche en forêt puis 16 kilomètres de plat sur une piste sans fin. Il faut savoir que l’intégralité du parc traversé (depuis la douane argentine et jusqu’à l’embarcadère) appartient à une famille peu scrupuleuse dont l’honnêteté est loin d’être la première qualité. Cette rumeur nous était arrivée aux oreilles depuis El Chalten et voilà qu’elle se confirme. Vous croiserez donc sans doute une voiture qui vous proposera d’avancer de 15 km pour 15 000 CLP, ce qui est franchement cher payé.
Optant pour la marche, nous arrivons tout de même à Candelario Mancilla, une sorte de lieu-dit situé aux portes de l’embarcadère. C’est ici que vous devrez faire tamponner votre passeport pour la seconde fois afin de justifier de votre entrée au Chili. Et c'est également ici que vous devrez passer la nuit si votre ferry ne part pas dans la foulée.
La douane chilienne (qui ne prête pas sa pelouse, contrairement aux voisins argentins) effectue des rondes de surveillance afin de lutter contre le camping sauvage. Chaque interpellation se solde par un ultimatum : rejoindre le camping obligatoire de la-dite famille ou rentrer en Argentine (à deux jours de marche). On met nos caractères bretons de côté et acceptons de nous rendre dans le fameux « camping », contraints et forcés.
5. Camping forcé à Candelario Mancilla
Nous voilà rendus dans le « fameux » camping. D’un point de vue pratique on y trouve le nécessaire : une étendue de pelouse et quelques arbres pour abriter sa tente, une toilette, une douche en bois et un hangar ouvert où nous avons le droit de cuisiner avec notre propre réchaud. Il ne reste plus qu’à profiter de la vue sur le lac en faisant abstraction des propriétaires. La nuit en tente revient à 5 000 CLP et il possible de manger pour 8 000 CLP si vous ne pouvez/voulez pas cuisiner vous-même. C’est ici que vos pesos chiliens vont vous être utiles car il s’agit du seul moyen de paiement accepté.
Voici trois informations cruciales et essentielles que nous avons découvertes sur le tas :
- La famille se dit en lien avec le personnel des ferrys censés traverser le lac mais elle n’hésitera pas à vous mentir sur les horaires pour que vous ratiez votre bateau et que vous soyez contraints de rester quelques nuits de plus (moyennant loyer, bien entendu). Surveillez donc l’arrivée du ferry vous-même et ayez l’amabilité d’en faire part aux campeurs les moins avertis. Le nôtre devait partir à 14h le lendemain et c’est le pilote qui nous a indiqué que le départ se ferait en fait à 6h du matin. On apprend également que nos camarades patientent dans le froid depuis 2 jours et que la jeune fille croisée en sens inverse a craqué après 5 jours d’attente (arrivant à court de nourriture et de pesos, ne faites pas la même erreur).
- Si vous arrivez à court de pesos, on vous demandera sans gêne de vous délester de vêtements, de bijoux ou encore de vos appareils électroniques. Et si vous refusez, vous ferez face à deux menaces : la dénonciation auprès de leurs amis douaniers (ne serait-ce pas l’occasion idéale de vous soutirer le prix d’une belle amende ?) ou la suppression de votre nom sur « la liste ».
- J’en viens donc à cette fameuse liste. Lorsque vous arrivez au camping, il faut vous signaler au doyen qui va écrire votre nom et votre ordre d'arrivée sur un bout de papier afin de le donner au pilote du ferry (son cousin, j’imagine). Votre rang n’est autre que votre place sur la liste d’attente pour le navire. Le nombre de place dans le ferry étant limité, il vaut mieux arriver tôt pour s’inscrire dans les premier. A ma grande surprise, cette compétition n’enlève rien à la solidarité entre voyageurs-campeurs puisque tout le monde s’entraide afin de partir d’ici le plus vite possible.
6. Ferry : Candelario Mancilla → Villa O’Higgins (1h30)
Les douaniers, les propriétaires du camping et les employés du ferry travaillent main dans la main au paradis de la corruption. Et puisque personne ne veut peut rien y faire, voici quelques conseils qui pourront vous éviter bien des ennuis.
Pour commencer, il faut savoir qu'il n’existe non pas une mais au moins deux compagnies de ferrys : Robinson Crusoe et Ruedas de la Patagonia (qui ne sont finalement pas si distinctes car elles s’échangent les bateaux et partagent probablement les recettes).
Ensuite, l’office du tourisme d'El Chalten ne vend que des billets pour la première compagnie, à 55 000 CLP. Sachez qu’il ne vous en coûtera que 45 000 sur place (42 000 en liquide). La seconde compagnie quant à elle revient à 40 000 CLP (35 000 en liquide ✅).
De plus, les jours et horaires ne sont généralement pas respectés. Si le bateau doit partir un mercredi et que vous n’êtes que trois au camping, ils attendront un ou deux jours que ça se remplisse afin de rentrer dans leurs frais (prétextant généralement de mauvaises conditions météorologiques). A titre d'information, la compagnie Ruedas de la Patagonia dit partir tous les lundis, mercredis et samedis.
Enfin, n’achetez pas votre billet en avance ! Nous sommes arrivés 17 et 18èmes au camping et le bateau à quai ne possédait que 16 places. Par conséquent, nous ne pensions pas pouvoir monter à bord. Mais ce dernier appartenait à la compagnie Ruedas de la Patagonia et le couple qui nous précédait avait anticipé l’achat (au prix fort) d’un billet auprès de l’autre compagnie. On nous a donc fait monter à leur place pour la simple et bonne raison que nous pouvions payer en liquide. Bienvenue dans un monde où l'argent est roi.
7. Débarcadère → Villa O’Higgins (8km)
On se trouve à présent tout près du village et deux options se profilent :
Marcher, pour ceux qui n’en ont pas eu assez
Il s’agit de 8 kilomètres plutôt plats sur de la piste. La monotonie est de mise mais si vous êtes en forme et que la météo est clémente, ça peut largement s’envisager. Gardez en mémoire que vous pouvez changer d'avis jusqu'au dernier moment puisque les navettes appartiennent à la compagnie du ferry.
✅ Prendre la navette, pour les frileux et les fatigués
En ce qui nous concerne, il est environ 7h30 quand nous posons enfin les pieds sur la tant attendue Carretera Austral. La nuit a été courte et le froid nous envahit. L’humidité du lac n’aide en rien. Bref, toutes les excuses du monde sont bonnes à prendre ! Nous montons à bord d’un pick-up et rejoignons enfin Villa O’Higgins, après trois jours d’efforts et d’incertitudes. Cette sensation de soulagement inégalée vaut bien les 2 000 CLP que nous venons de payer.
Et si c'était à refaire ?
Eh bien on ne changerait rien !
Cette fascinante expérience est peut-être semée d’embûches mais le bonheur d'en arriver à terme s'en retrouve décuplé. En ce qui nous concerne, nous avons pu éviter chaque piège en faisant appel à notre bon sens mais quelques détails concrets sur la traversée n'auraient pas été de trop. On ne va pas se mentir, sans aucune information fiable il nous était impossible d’anticiper la plupart des situations et nous avons souvent remis notre destin dans les mains du hasard. De toute évidence, on peut se vanter d'avoir bénéficié de la chance des débutants.
Aujourd’hui, nous prenons le temps de partager cette expérience pour vous permettre de faire des choix éclairés. Gardez en mémoire que l'organisation d'une telle aventure n'est pas à prendre à la légère et que de nombreux paramètres sont à prendre en considération. Mais c'est ce qui en fait la beauté.
Par ailleurs, il faut savoir que la traversée en sens inverse est nettement moins complexe puisque l'attente du ferry peut se faire dans de bonnes conditions et en sécurité depuis Villa O'Higgins. Cela vous permettra de passer outre la corruption, seul réel point noir de cette traversée.
Si des interrogations persistent ou que vous souhaitez apporter une mise à jour concernant cet itinéraire ou son organisation, n'hésitez pas à nous en faire part dans les commentaires. Nous nous ferons un plaisir de vous répondre.
En ce qui nous concerne, nous allons à présent pouvoir remonter la Carretera Austral en toute sérénité !